Lekerly ma vie en bleue

publié le Lundi 12 Octobre 2020

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publié le Mardi 20 Octobre 2020

La disparition d’Anna a secoué toutes les jeunes palombes de Sälna.

Nous sommes déjà mi-septembre et les anciens parlent de plus en plus du Grand Départ. Il fait de plus en plus frais le matin. 

La routine des années va se mettre en place. L’hiver arrive très vite et qui dit hiver ici dit neige. Et qui dit neige dit nourriture de plus en plus dure à trouver.

Comme beaucoup d’autres oiseaux nous n’avons pas le choix. Nous sommes contraints de fuir notre pays pour prendre la direction du Sud. Partir pour pouvoir trouver de la nourriture. Migrer pour vivre.

Un voyage de près de 3500 kilomètres nous attend. Il sera semé d’embûches, mais tous nos aînés nous le décrivent comme une expérience extraordinaire où nous allons rencontrer des palombes de multiples pays. Nos voisines les Finlandaises, les Norvégiennes, les Danoises mais aussi plein d’autres qui viennent de plus de vingt pays.

Depuis quelques années, de plus en plus de palombes ne se rendent plus jusqu’au Portugal. Beaucoup préfèrent s’arrêter dans le grand Sud-Ouest de la France. En effet, ce que l’on appelle le réchauffement climatique allié au changement de 
production du monde agricole, nous permet de passer l’hiver sur place dans de bonnes conditions. La nourriture est abondante et la neige de plus en plus absente.

Mais nous les Suédoises de Sälna, nous respectons le trajet historique. Toutes les « Nordiques » partiront en premier, ce qui leur permettra de survoler de nouvelles contrées comme des éclaireurs, donnant ainsi souvent le top départ aux locales.

Hier, papa nous a réunis, il nous a confirmé que le jour du départ était proche. Bien sûr, il ne savait toujours pas la date exacte, les vents n’étaient pas très bons, mais tout pouvait changer très vite.

Il nous a rappelé que nous n’avions pas à nous inquiéter notamment en ce qui concerne l’incertitude de la date. Le jour où elle arriverait, on le saurait, « naturellement ».

Il nous a conseillé de bien nous alimenter, car le voyage serait long et il était impératif que notre corps soit le mieux préparé. Nous sommes tous impatients, on souhaite savoir mais personne ne nous fournit des explications claires.

Papa est persuadé que notre organisme est sensible aux variations de pression atmosphérique qui, lorsqu’elles atteignent un certain niveau, déclenche dans notre organisme une substance qui entraînait notre volonté de départ. Moi qui ne sais toujours pas ce qu’est la pression atmosphérique, j’écoute simplement. On verra bien.

Pour la migration il ne faut pas s’inquiéter. Dans notre cerveau, nous avons une sorte de boussole interne qui nous indique toujours où aller.

C’est dur à expliquer, c’est dur à comprendre, mais chez nous, c’est comme ça, c’est tout.

Ce matin, les Bergstrom sont partis, comme on les connaît bien, ils sont venus nous dire au revoir. Ils étaient tout excités, encore plus fous que d’habitude. Ils sont vraiment géniaux. Gunther le plus jeune est venu me dire :

« Dans six mois on se retrouve ici sur cet arbre et tu vas voir, j’arriverai à gagner nos courses ». Et ils sont partis de bonne humeur, tout droit direction le sud.

Sur les coups des 11 heures, je vois un vol de douze palombes passer très haut au-dessus de nous, sûrement des palombes de la région d’Umea située à 400 kilomètres au nord.

C’est magnifique, ça me donne envie.

Je passe une drôle d’après-midi, comme je n’ai pas envie d’aller m’amuser, je pars toute seule vers le Golf de Huvudstaden. 
Bien sûr, je le fais en cachette, mes parents auraient piqué une crise s’ils m’avaient vue. Mais j’en ai besoin. Consciente du danger, je surveille beaucoup les alentours. En survolant le Golf, je repense à toutes ces heures passées avec papa pour améliorer mon vol et mes atterrissages.

Puis le lac de Fysingen apparaît. Je sais que je vais voir beaucoup d’autres lacs, mais celui-là, c’est le mien, celui de ma jeunesse. Je l’aime, tout simplement.

Ce moment est vraiment à part. Je suis à la fois nostalgique et enthousiaste.

Je vole ainsi sereinement pendant une bonne heure, puis en fin d’après-midi, je rejoins discrètement mon groupe.

Nous sommes tous prêts, pour cette grande aventure. Nous sommes chauds comme la braise.

Moi qui adore les nouvelles expériences, je suis heureuse tout simplement.