Lekerly ma vie en bleue

publié le Lundi 12 Octobre 2020

L’intégration dans le monde des dominants

publié le Dimanche 18 Octobre 2020

En ce début septembre, je suis en période de fin de croissance. Je ne mange pas, je dévore. Chez nous, l'alimentation quand elle s’effectue au sol a souvent lieu en groupe et contre toute attente, il y règne une véritable hiérarchie.

Les oiseaux dominants se trouvent au centre et se nourrissent plus rapidement que les subordonnés qui eux sont placés en périphérie.

Ce matin, je ne veux pas manger seule et je rejoins mon premier gros groupe de palombes. J’atterris directement près du centre. De nombreux regards se tournent immédiatement vers moi. Je sens très vite que je dérange. Il y a même une sorte de haine qui transpire chez certains. 

Le vieux leader Lundberg vient près de moi et me demande de changer de place. C’est rare, mais ce matin je n’ai pas envie de faire des concessions. 

Je ne lui réponds simplement « pas question ».

Pour beaucoup, il est inadmissible qu’une jeune palombe comme moi trouve sa place au centre du groupe.
Lundberg vient directement me bousculer d’un mouvement d’aile rageur, mais je décide de ne pas bouger. La tension est palpable mais beaucoup n’osent pas effectuer le moindre mouvement. Papa qui n’est pas loin de moi est tellement surpris que lui aussi reste immobile.

A ma grande surprise, c’est Astrid, une palombe respectée par beaucoup, qui arrive sur le champ pour calmer la situation. Elle prend à part Lundberg et trente secondes plus tard tout rentre dans l’ordre et chacun picore sa nourriture.

En continuant à manger, je n’imagine pas du tout l’importance du geste que je viens d’effectuer.

Le soir même, je m’aperçois que les autres palombes me regardent « différemment ». J’ai même la surprise de voir certaines me laisser leur place lorsque je reviens me coucher sur le grand chêne du moulin qui nous sert régulièrement de dortoir.

Le lendemain, au petit matin Astrid vient me voir. Elle me demande de la suivre. Elle désire que l’on s’isole pour me résumer son intervention. Dans un premier temps, elle m’explique tout le bien que pense l’ensemble de mes congénères - de mes parents -qui sont très respectés malgré leur discrétion.

Elle me dit également que tous sont épatés de voir le gros travail que j’ai enduré avec papa et de toute l’écoute que j’ai eue lors de mon éducation. 
Ma vitesse de vol et ma soif de connaissances ont très vite fait le tour de Sälna. Astrid connaît de réputation mon caractère que beaucoup jugent « bien trempé ». Elle en a souvent parlé avec maman.

Quand elle m’a vue atterrir près du centre du cercle, elle a très vite imaginé la suite. Elle ne connaît que trop bien le vieux Lundberg et tous ses acolytes.

Ces palombes sont tellement prévisibles, qu’elle en a souri d’avance.

Depuis des années, les dominants sont composés à plus de 90 % de vieux mâles. Notre espèce est très « classique » à ce niveau.

Quand elle a vu ma réaction et mon regard lors de l’agression de Lundberg, elle a su qu’elle devait intervenir. Elle m’avoue avoir réussi à le calmer en lui expliquant finalement ce qu’il savait déjà. Mais il fallait trouver les bons mots et le bon ton. 

Elle lui avait dit :

« Lekerly a tout d’une grande, et je suis sûre qu’avec ta sagesse tu l’as déjà remarqué. Laisse-la grandir et ne t’inquiète pas, elle apprendra avec le temps. Elle va acquérir beaucoup d’expérience et même si elle va vite, elle est trop jeune pour prendre ta place. Devant sa volonté de connaissance, notre devoir à nous les anciens est de savoir l’écouter et l’aider ».
Ces quelques mots très rapides avaient suffi à le calmer.

Je prends note de ses remarques et dès le lendemain lors de notre repas sur la grande prairie de Longvist, je me positionne près du centre mais à distance de Lundberg. Il n’y a aucune réaction, j’ai réussi mon intégration dans le monde des dominants.

Nous les femelles, nous ne mettons pas en avant nos ergots, nous préférons faire travailler nos neurones cérébraux :-).