Lekerly ma vie en bleue

publié le Lundi 12 Octobre 2020

Une drôle de journée

publié le Lundi 12 Octobre 2020

Les quinze premiers jours de ma vie passent très vite. Je me souviens surtout de la chaleur sous le ventre de papa ou de maman.

Nos parents ne nous laissent jamais seuls, maman est avec nous le soir et la nuit. Le matin et l’après-midi, c’est papa qui la remplace. C’est cool, je suis bien.

Pendant nos premiers quinze jours, ils nous couvent et nous allaitent à tour de rôle. Cela vous fait peut-être sourire cette idée de voir un oiseau « allaiter ». Mais c’est l’expression que l’on utilise.

Au début de notre vie, nous sommes nourris avec un mélange caséeux qui est une sorte de « lait » sécrété par le jabot de nos parents. Après quinze jours « d’allaitement », notre alimentation s’effectue avec de la nourriture qu’ils nous ramènent. Et pour ça, Fabio est hyper fort, il nous fait découvrir beaucoup de petites graines et des herbes avec plein de goûts différents.

La propreté du nid est très importante, il est nettoyé tout le temps. Papa dit que c’est primordial. Nous sommes très jeunes et la saleté peut entraîner des maladies qui peuvent nous faire beaucoup de mal. Alors, nous l’écoutons et nous faisons attention.
Parfois, mon frère m’énerve beaucoup, il est toujours à faire son intéressant. Il veut toujours manger en premier et souvent papa est obligé de s’énerver pour qu’il se calme.

Leila elle, est toute douce et souvent, on passe de longues heures blotties l’une contre l’autre.

De notre nid, on voit souvent d’autres oiseaux voler autour de nous. Il y a bien sûr des palombes, mais aussi plein de petits oiseaux de toutes les couleurs. Parfois, papa ou maman battent très fort des ailes pour en faire partir certains. Apparemment, ce sont des méchants.

On s’habitue rapidement au rythme quotidien des jours et des nuits. En cette saison, il fait souvent très beau et le ciel est bleu. C’est magnifique, on est bien, tout est tranquille et l’on grandit très vite. Chez nous, les palombes, en quasi un mois, nous arrivons presque à notre taille adulte. Le 21 juillet, je suis déjà une grande, même si je n’ai qu’un peu plus de trois semaines. Et ce jour-là, je vais vivre une drôle de journée. 

Ioda et Leila sont en grande forme. Ils n’arrêtent pas de gesticuler et font battre leurs ailes. De mon côté, je tente de faire la même chose. Je crois que c’est un jeu. Comme je suis toujours la plus frêle, le mouvement de mon corps n’a pas du tout la même vitesse que celui de mon frère ou de ma sœur.
Vers midi, papa se pose devant nous et d’un ton calme, il nous dit :

« Les enfants, ce jour va être un jour à part. Vous êtes maintenant des grands et vous allez devoir vous lancer oui ... Vous lancer car vous devez voler, voler comme nous ».

Mon frère et ma sœur l’écoutent avec de grands yeux ouverts pleins d’admiration. Je les sens motivés et moi, moi, je suis pétrifiée. Maman a un grand sourire qui illumine son visage, mais quand elle croise mon regard, je sens chez elle une inquiétude.

Ioda est le premier à se lever et sous les regards familiaux, il se jette dans le vide. Trente secondes plus tard, il se pose sur la grosse branche fourchue sur la gauche du nid. Tout est allé très vite. Un drôle de sourire se dessine sur son visage.

Puis, c’est le tour de Leila. Elle se lève et se positionne à côté de maman, un peu comme si elle cherche du réconfort. Dix secondes plus tard, elle aussi se jette hors du nid, mais elle se pose deux mètres plus loin. Elle reste immobile et semble vouloir reprendre son souffle. Je la regarde les yeux grands ouverts. J’ai l’impression que son corps est rempli de tremblements. Puis elle s’élance de nouveau dans le vide. Le bruit que font ses ailes est désordonné. Il me fait peur. Puis plus rien, le silence et quelques secondes plus tard, elle vient se poser à un mètre, juste au-dessus de nous.
Papa et maman sont fiers, leurs visages rayonnent. Ils n’arrêtent pas de sourire. Leila elle, est très calme, elle ne bouge pas. Moi, je suis incapable de faire le moindre mouvement, je suis terrorisée. Si j’en avais la possibilité, je crois, que je me cacherais sous une brindille.